L’idée d’une randonnée sur les chemins de St Jacques de Compostelle avait été émise par Thierry & Catherine lors de l’Assemblée Générale. Elle avait fait jaillir – tels les rayons du soleil qui transpercent les frondaisons de chêne un matin de juillet – une vague d’enthousiasme généralisé chez les adhérents. Ils s’étaient exclamés : « Avec plaisir ! », « J’en serai ! », « Magnifique initiative ! », « Banco ! », « Hein ? Il a dit quoi ? La femme a qui qu’a les oreilles dans le plâtre ??? » (pour ceux assis au fond de la salle et qui n’avait rien écouté).
Ce déferlement de volontaires transforma l’idée initiale d’une virée avec une poignée de riders, en véritable périple à 18 vélos, montés par des pilotes de tous âges, sexes, niveaux, préférences politiques et sexuelles…en somme en un colossal challenge pour les organisateurs!
Le pèlerinage sur chemin pieu cela fonctionne sur le principe de la rédemption : la douleur physique permet d’oublier le confort matériel et donc de se rapprocher du sort des malheureux, ceci afin de se rapprocher du divin. Donc assez logiquement, St JACQUES en personne décida de disqualifier Hervé (tellement affûté qu’il n’aurait jamais réussi à souffrir) et Laurent (déjà au taquet au niveau des points « BA » avec l’organisation réussie de la RPS). Ainsi, ce sont 16 et non pas 18 raidars qui se présentèrent finalement sur la ligne de départ le samedi 25 mai 2019 à 6h précise au Lac des Veilles Forges.
Dès 5h59 la troupe est au complet sur le parking et piaille gaiement comme une nuée d’hirondelles. Stéphane l’Ecureuil s’est levé à 4h30 parce qu’il habite loin dans LA PLAINE CHAMPENOISE ; alors il est un peu ronchon (comme Florian ;). Il dit qu’à cette heure-là même les canards du lac ne sont pas encore réveillés! S’en suis naturellement une série de surenchères pour déterminer celui qui s’est levé le plus tôt. Concours remporté haut la main par Cacal qui s’est levé……………tellement tôt qu’il a oublié de fermer la porte arrière de son utilitaire et a semé une godasse sur la route en venant.
Jipé est là avec un pickup à faire pâlir de jalousie PTR et une magnifique remorque 20 places qu’on charge sans difficulté. Thierry nous présente sa sœur et son beau-frère, Florence et Francky, qui forment le binôme d’Assistance. Nous chargeons les baguages dans le Vito et nous nous mettons en tenues de combat : casques, gants, chaussures et sac à dos car la randonnée ne se fait pas en simple mais en TOTALE autonomie. Le groupe est excité comme un bus de collégiennes le jour de la sortie scolaire. On a hâte d’en découdre. Les jambes commencent à pédaler toutes seules. On saute dans le bus Francotte à peine la porte ouverte, on dit bonjour à la dame, et hop, en route vers l’aventure ! Ceux qui espéraient finir leur nuit dans le bus réalisent très vite que L’Ecureuil, Guitou, John et Yannick « La Charrue », sont branchés ce matin sur du 400 000 Volts et ont confondu, au petit déjeuner, la boite de l’ami Ricorée avec la boite de Guronsan. Le pauvre Thierry a bien du mal à faire entendre le briefing de la journée, pourtant préparé aux petits oignons. Catherine nous gâte de belles attentions : du pudding au raisin préparé par ses parents avec le pain restant de la RPS. Une véritable coquille St Jaques ornée du blason du club et rappelant les objectifs chiffrés du weekend : 153 Km et 3500m de D+. Je réalise alors que cela équivaut à enchaîner le 70Km de Oignies et le 70Km de Olloy le lendemain…ce qui me parait inenvisageable.
Comme on approche de Namur, El’Ninin commence à se concentrer et se préchauffe les gigots en les frictionnant avec du Baume du Tigre. L’odeur chatouille les narines de l’Ecureuil qui nous dégaine des répliques à la Audiard : « C’est fabriqué avec les pattes arrières du Tigre ton truc, et y’aurait un bout d’couille là-dedans que ça ne m’étonnerait pas ! ». Le bus est hilare. L’ambiance est au top. Comme je suis assis loin de John et Guitou j’en profite pour dire des trucs intelligents en cachette (sinon ils se moquent de moi). Je demande à Tintin L’Apothicaire (oui Stéphane2 a aussi droit à un surnom) s’il sait que l’effet chauffant du Baume du Tigre est provoqué par la capsaïcine ; principe actif qui est aussi responsable du goût brulant des piments. Il me répond que cela vient du Camphre et poursuit en me listant de mémoire tous les ingrédients du baume, qui incluent notamment l’huile essentielle de Cajeput ; nom de plante qui me fera ma journée.
Arrivée à Namur, parachutage des raidars à la volée sur la place de la Gare où il est interdit de s’arrêter plus de 60 secondes. On salue et on remercie Jipé pour son dévouement avant qu’il ne s’en retourne à Carignan. Un SMS à M’man, on ajuste le sac à dos, on démarre le GPS, on clipse les pédales et cette fois on y est ! Les chemins de St Jacques s’ouvrent à nous !!! Les premiers hectomètres se font dans le centre-ville, sous l’arche de la Bourse, jusqu’à la place d’Armes. L’escadrille de 16 vététistes arborant les mêmes couleurs fait forte impression. Les namurois nous saluent, nous encouragent et nous photographient. Pour remercier nos amis belges de cet accueil chaleureux on pisse tous sur leur citadelle 100m plus loin. (En effet, l’excitation a fait monter la tension artérielle ce qui accélère le fonctionnement des reins. Mais j’arrête là avec les explications scientifiques sinon je vais encore être accusé d’homosexualité).
Les choses sérieuses commencent avec l’ascension de la route pavée qui traverse la Citadelle. Arrivés en haut nous admirons la vue sur la capitale Wallonne et certain retirent déjà une couche de vêtements sous l’agréable soleil printanier.
Thierry mène le groupe et Catherine ferme la marche pour ramasser les brebis égarées. Ils ont chacun l’itinéraire consciencieusement préparé et testé avec Spaderman. Ils portent des Talkies pour checker la cohésion du groupe à chaque croisement. En un mot : du très grand professionnalisme ! ChocoBob aussi a un Talkie mais je crois qu’il trifouille surtout au bouton pour essayer de trouver de la musique. On avance vers le Sud-Ouest en serpentant sur la route Merveilleuse parmi de magnifiques châteaux et demeures en pierre bleue. Après le bois de la Vêcquée nous passons à côté du Fort de Malonne. Dans la descente vers Burnot par un sentier étroit à flan de jardins, j’ouvre le festival des boîtes du weekend en touchant le grillage avec ma poignée gauche. Je retiens mes larmes le menton tremblant et me remets vite en selle pour terminer la descente où nous croisons pour la 1ère fois le Vito d’assistance. C’est après cela que les choses se gâtent. Le ciel s’obscurcit et se charge de lourds nuages. Arrivés sur le plateau de La Sibérie nous boudons un peu le paysage, pourtant magnifique, parce que nous surveillons d’avantage les nuages. Une goutte, puis deux, puis 10 000 ! La météo part en sucette et c’est sous une pluie battante qu’on attaque l’ascension vers l’émetteur de la RTBF. Veste imperméable ou pas, tissu déperlant ou pas, la pluie froide et drue finit par pénétrer partout. Le moral des troupes prend un gros coup. On se regroupe sous un arbre comme des singes pour attendre la queue de peloton. L’Ecureuil porte réclamation et gueule sur le tarif exorbitant de cette randonnée de merde ! La pluie continue de tomber et il faut énormément d’optimiste et de foi pour réussir à apercevoir un coin de ciel où « ça se lève ».

Quand on a la classe, peu importe l’accoutrement…
La bande arrive à Godine pour le déjeuner, les oreilles en arrière, la queue basse et le poil tout collé. Nous nous réfugions dans le hall providentiel de la petite Gare où nous établissons le campement, sous les yeux éberlués des quelques usagers. Frigorifiée, la majorité des raidars pense sérieusement à abandonner, mais seulement quelques-uns l’expriment de manière explicite. Alors que tout semble perdu, le véhicule d’assistance arrive en trombes avec ses gyrophares, toutes sirènes hurlantes, et se gare devant la gare en faisant un dérapage au frein à main. Florence et Francky (vas-y c’est bon) viennent nous sauver la vie ! Ils nous apportent du manger, du à boire, des fringues sèches et un miraculeux rouleau de sacs poubelles… Abandonnant alors toute dignité, nous nous taillons des vêtements de pluie en faisant 3 trous dans le fond des sacs. Seul Florian (à qui il serait temps aussi de trouver un surnom….) résiste à cette tentation et choisit de rester humide mais classe. Les autres improvisent un concours de mode et Guitou nous offre même un défilé avec un déhanché digne des plus grands top model. J’envoie à Isabelle une photo des raidars dans leurs saillants emballages plastiques. Elle me répond spontanément « oh putain les clochards ». Profitant de la rigolade généralisée, Yannick La Charrue s’est éclipsé pour allez faire la grosse commission dans en endroit discret.
Notre guide suprême surveille la montre et il est déjà temps de lever le camp sous la pluie qui continue de tomber. Le moral est en berne, on grelotte, mais on y va ! L’itinéraire emprunte un tunnel long et exigu qui passe sous les voies ferrées. Thierry ouvre la file et s’arrête – pour une raison toujours inexpliquée à ce jour – juste à la sortie pour laisser la troupe profiter de la qualité d’air intérieur pendant d’interminables minutes. L’odeur est infernale. Le lieu est tellement insalubre que Tintin l’Apothicaire remarque la présence de Staphylocoques dorés gros comme des doryphores ! Yannick est unanimement désigné comme responsable de cette odeur.
La trace reprend de la hauteur à travers le bois de Fontelène en direction de Evrehailles. L’effort nous réchauffe. St JACQUES a pitié de nous : Il fait cesser la pluie. Les paysages sont magnifiques et le terrain très varié. C’est du vrai VTT qui demande de la technique! Seb et L’Ninnin se régalent. « Fabrice a laissé la fée électricité au vestiaire mais il tient une forme olympique! Il talonne notre guide tout du long ». Nous traversons une réserve naturelle pour arriver jusqu’aux ruines du château de Poilvache contre lequel nous n’urinons pas. Traversée d’un long chemin rectiligne dans le bocage avec un terrain tellement boueux qu’on se fait des copains chez les têtards. Puis ascension du Mont-d’Houx, qui pique les jambes comme son cousin arbuste. C’est là que je réalise que je supporte vachement mieux le D+ depuis que j’ai perdu l’équivalent du poids d’un VAE mort… A ce propos Cacal rencontre de nombreux soucis techniques comme par exemple du jeu dans la buselure des roulements de la tige de selle qui a perdu la connexion bluetooth avec la GoPro (prend une rafale). Heureusement, Guitou, avec son maxi-outil-mystère, lui vient en aide.

Paysages magnifiques et passages improbables
Après une magnifique descente en lacets sous la carrière nous arrivons à Leffe, non loin de l’abbaye, mais sans en déguster la spécialité monastique. Dans un timing orchestré de mains de maître, le binôme Assistance a déjà dressé la table du ravitaillement au moment où nous arrivons. Les gaufres et les oursons au chocolat se font défoncer la gueule par une horde de bikers affamés. On a déjà quelques kilomètres dans les jambes et le périple est loin d’être terminé. Comme le ravito est pris au bord de la Meuse, nous ne nous faisons pas d’illusion sur la suite… Il va falloir remonter. Cette fois c’est la Citadelle de Dinant que nous prenons d’asseau, après un court passage en centre-ville par une voie à contre sens, façon Free Riders (on s’en fout puisque nos deux flics sont désormais en retraite). Par coïncidence les abords de la Citadelle sont le théâtre ce jour d’un Trail, assez velu apparemment…Donc nous nous hâtons de passer notre chemin en suivant leur balisage à contre sens avant l’heure du départ pour ne pas risquer le choc frontal. « Trailer tout maigre : 0 point – Char d’assaut d’Anouchka : 1 point ». Se sont encore de beaux singles qui s’enchaînent et nous régalent. La traversée en file indienne d’un champ de hautes orties nous permet d’entendre un admirable récital de « Aaaaaaah putaiiiiiiin !!!! » qui s’enchaînent sur différents octaves. A chaque croisement on patiente un peu pour regrouper. A chaque croisement ça pète, ça rote et ça se gratte la couille. Il est environ 17h quand on attaque la dernière ligne droite sous un soleil radieux le long des berges de Dinant. Passage de la fameuse dalle à fleur d’eau creusée sous la paroi rocheuse (1,94m assis sur Camber XL, ça raccroche), traversée de quelques pâtures en gardant toujours du coin de l’œil le taureau ; Puis chemin de hallage qui nous permet d’admirer encore de très jolis châteaux et parcs arborés impeccables. Quelques inconscients se tirent la bourre jusqu’au pont d’Hastière afin de brûler leurs dernières cartouches, puis les plus téméraires des inconscients se re-tire la bourre encore une fois dans l’ascension de la route vers l’auberge.
Nous arrivons enfin à bon port et nous sommes accueillis chaleureusement par le patron à la rondeur et bonhomie typiquement Belges. Il s’agit d’un établissement familial situé à l’écart de la ville, dans un vallon très encaissé. La patronne est tout aussi sympathique que le Patron. La fille en revanche a le regard noir et des sourcils de Loup-garou. J’ai peur qu’elle nous assassine pendant la nuit.

Auberge de la grotte
La répartition des 16 amis parmi les chambres de l’auberge prend un bon 45 minutes parce qu’il faut composer avec de très nombreux paramètres : affinités personnelles, couples, ronflage ou pas, choix du type couchage, appréhension ou non à l’idée de dormir dans le même lit qu’un autre homme et donc de risquer un câlin accidentel…etc. Nous finissons par y arriver et au moment de descendre prendre l’apéro, Laurent El’Président nous a rejoins. On discute et on lui fait notre rapport de la journée pendant…2 ou 3 Super des Fagnes, puis nous passons à table. Catherine nous offre encore un petit cadeau en forme de sanglier : une couque (spécialité de Dinant inventée par le Syndicat des Prothésistes Dentaires). Le repas est délicieux et très copieux. Seuls les rudes gaillards, les bestiaux, les armoires à glaces comme Tintin l’Apothicaire parviennent à venir à bout de la plâtrée de frittes et même finir l’assiette du voisin. Thierry et Laurent nous font le briefing de la journée du lendemain qu’on ne peut pas qualifier de plus facile mais….de différente….Sur ces nouvelles très rassurantes et la fatigue aidant, les raidars ont les yeux qui picotent et vont se coucher (PTR et Anouchka un peu plus vite que les autres). Comme pour la cuisson d’un steak « bleu » on fait juste deux aller-retour dans le lit et hop, prêts à servir à la table de Morphée !
Au commencement du deuxième jour le réveil sonne avec une grande cruauté. On a beau paramétrer une alarme avec un nom poétique, comme Summer Lulaby par exemple, une sonorité douce à base de chants d’oiseaux et de clochettes, et un volume progressif, quand ça sonne tôt ça sonne toujours cruel (comme la sonnerie d’une saloperie de radioréveil à pile 9V et écran LCD orange des années 80).
Malgré tout le confort fourni par l’Auberge des Grottes, la nuit a été trop courte et elle fut émaillée d’événements, notamment, en ce qui concerne la chambrée N°8, l’effondrement subite de la penderie sous le poids des fringues mouillées, puis, un peu plus tard dans la nuit, un rapide high-kick de l’Écureuil dans la tête de lit de Yannick pour stopper immédiatement une tentative de ronflement. Le pauvre Yannick, exténué par la 1ère journée, a à peine eu le temps de prononcer le premier « r » du mot « Rrrrrrrrrrrrrrr ».
A la table du petit déjeuner, j’observe à quel point le sport est fédérateur. Qu’on ait 30 ans, 40 ans ou plus, au matin du dimanche 26 mai 2019 nous avons tous 75 ans. Les carcasses sont rouillées. Se lever est pénible. Tendre le bras vers la cruche de café est pénible. S’asseoir…on en parlera plus tard. Comme pour le diner le choix et la qualité des mets sont au top. Il y en a pour tous les goûts, mais seuls les vrais connaisseurs auront dégusté une tartine de MICHTROLLE ; un sirop épais originaire de Liège confectionné à partir de dattes, pommes et poires. Dans des petits tubes chez Intersport ça coûterait une fortune, mais là ça se vend en pot de 1kg avec un nom ridicule alors c’est très bon marché.
Le Guide nous dresse le programme de la journée avec beaucoup de mystères sur le niveau de difficulté et il répond aux questions de manière assez évasive. « En fait, comment dire, c’est moins difficile que si c’était pire, mais bon ça ira. Au début ça monte un peu mais après bon,…au pire ya moyen de couper ».
Une fois le plein de glucides et de caféine fait, nous remercions l’aubergiste pour son hospitalité et nous allons préparer les montures. Les transmissions lavées la veille au Karcher sont sèches comme les couilles à Taupin ! Les bikers prévoyants ont pensé à apporter une burette d’huile. Ils partagent leur précieux nectar (non, il n’est pas question de jus de zizi). Guitou me tend la fiole d’huile en levant lentement les bras à hauteur du visage. Il marque un court silence et me dit solennellement : « Prenez. Ceci est mon sang. Par contre n’en buvez pas c’est toxique, et surtout faites gaffe de pas en foutre sur les freins sinon ça nique les plaquettes ». Après l’onction de la chaine et des pignons je suis fin prêt. J’observe le ciel ; La météo est beaucoup plus clémente que la veille. Les vêtements ont eu le temps de sécher pendant la nuit et nous allons rouler vers LA FRANCE. En résumé : on est bien là !
Anouchka et Yannick décident de couper la 1ère partie pour nous rejoindre au premier ravito dans le véhicule d’assistance. Cette sage décision honore La Charrue. Il a su reconnaître humblement ses limites et évite ainsi de retarder le groupe. Nous le remercions en lui chantant des encouragements sur le parking de l’Auberge : « Yannick p’tite bite, Yannick p’tite bite, Yannick, Yannick, Yannick p’tite bite ! ».
Une fois leurs vélos accrochés au Vito, non sans peine, nos chemins se séparent. Les 14 rescapés attaquent la suite de St Jacques et comprennent – dès que leur séant se pose sur la selle – que ce point d’attention va occuper leur esprit toute la journée. Diverses expressions imagées fusent pour désigner notre souffrance. Il est question de feu, vrac, babouin, chou-fleur, etc, mais personnellement j’attribuerai le césar à Fabrice qui a tout simplement dit: « j’ai le froyon », terme de patois ardennais précis et fort à propos. Et oui ! Qu’on parcourt 20km en 10h ou 100km en 10h, ça fait toujours 10h de selle…. et encore une fois le sport est fédérateur.
Les premiers tours de pédales se font sur la route en lacets pour prendre de la hauteur et rejoindre la ligne de crête d’Inzémont qui offre un beau panorama. La troupe s’échauffe petit à petit, bizarrement beaucoup plus silencieuse que la veille. Quelqu’un comme John par exemple, qui habituellement interpelle ses co-équipiers de deux manières différentes ; soit « gros connard », soit « espèce d’enculé », et bien même John est extrêmement calme et courtois ce dimanche matin.
A chaque croisement, notre guide doit décider de l’orientation en quelques secondes à partir de 4 sources d’information différentes : la trace GPS pas toujours précise, le fléchage du GR pas toujours visible, sa mémoire visuelle des lieux pendant la reconnaissance, et les invectives dissonantes de l’équipe qui braille dans son dos : « Tout droiiiiiiiiiiiit !!!!! A Gauuuuuuuuuuche ! ». Ce n’est pas facile d’être chef, surtout avec une bande de pèlerins pareille ! Cela nous vaut quelques petites manœuvres de retour en arrière, sans gravité kilométriques, mais source d’abondants chambrages.

Vallée de l’Hermeton – Pas fait pour les vélos
La descente se fait par un chemin champêtre qui serpente entre de verdoyantes pâtures où paissent veaux, vaches et cochons. Puis nous entrons dans la mystérieuse vallée de l’Hermeton, qui signifie rivière sinueuse dans le dialecte des autochtones. Après le passage à proximité d’un moulin abandonné (une belle bâtisse qui donne des idées de rénovation) nous nous enfonçons dans ce sauvage et magnifique vallon. La lumière joue avec les feuillages, les oiseaux chantent, les fleurs sauvages caressent nos mollets, mais putains qu’est-ce qu’on en chie !!!! C’est à la fois très beau et hostile. Ça me rappelle tellement le Vietnam et les camarades tombés dans la boue des rizières. Il y a beaucoup de troncs à franchir, de roches à passer, de racines en dévers, et même des passages en semi-escalade à la corde où nous devons nous entraider pour faire passer les bikes…Le VAE est alors clairement un handicap pour Cacal. A quand l’option treuil ?
Pour Seb « Le Jaguar » en revanche, la vallée de l’Hermeton ça passe crème ! Il excelle sur ce terrain accidenté en mettant à profit son agilité et son sens de l’équilibre exceptionnels. Il nous fait des passages ED’BÂTARD. Même quand il chute il se réceptionne à pieds joints, les bras à l’équerre, comme un gymnaste ukrainien. Pourquoi moi quand je chute, ça ressemble plutôt à un crash de B52 ?
Après 15 km de stage commando et une petite pensée pour Anouchka et Yannick qui ont bien fait de couper, Florian m’annonce qu’on file un petit 6 km/h de moyenne…Le soleil est déjà haut dans le ciel. La journée va être longue. Mais tout comme Ninin et Catherine il avance courageusement sans se plaindre.
Le groupe marque une courte pause à la croisée de 3 chemins le temps de souffler un peu et de raccrocher la fin de cortège. ChocoBob (que certains surnomment parfois ‘Laurent B.’, mais c’est complètement improbable) nous sert quelques chocovannes. Nous repartons sans tarder car notre Guide aimerait qu’on rattrape le retard pris au départ.
L’obstacle suivant fait émerger 3 courants de pensées distincts au sein de l’équipe. L’hermeton est peu profonde, mais large. Les berges sont assez abruptes. On ne sait pas si le lit est jonché de gros pavés. Comment la franchir ?
Le 1er courant de pensée, appelé Précieusisme est constitué de ceux qui estiment avoir été déjà bien assez saucés la veille et, refusant catégoriquement de se mouiller les chaussures, décident de traverser la rivière à pieds nus. Totalement à l’opposé sur le plan idéologique, il y a les Warrioristes, qui considèrent que le franchissement d’obstacles est l’essence même de la pratique du VTT. Les premiers traitent les seconds de bourrins et ces derniers qualifient les premiers de tapettes. Entre les deux, il existe l’école dite « du milieu » dont les adeptes acceptent de se mouiller les chaussures, mais, en traversant à pieds à côté du vélo pour ne pas tomber et se mouiller le derche.
J’ouvre la marche et traverse la rivière sur le vélo, comme un warrior, suivi par quelques courageux. Les centristes traversent derrière à pieds et mouillent leurs chaussures. Puis, nous observons tous les précieux traverser avec leurs petits souliers à la main. La technique est efficace pour garder les chaussures sèches, mais Guitou peine à remonter la berge boueuse à pieds nus. Il met les pieds en canard mais il glisse laborieusement. Il ressemble à une tortue Luth qui galère avec ses nageoires dans le sable pour aller pondre sur la plage.
Nous quittons la vallée infernale sans avoir vu Bob Morane mais avec de bien beaux souvenirs et photos dans notre escarcelle.
Lors de la traversée du village de Soulme, l’un des plus beaux de Wallonie, l’itinéraire du GR passe parfois tellement prêt à l’arrière des maisons qu’on traverse le jardin parfaitement entretenu des habitants. Le gazon est tellement parfait qu’on a presque envie de s’essuyer les pieds avant de passer. En haut du village nous rejoignons l’assistance qui s’est installé à l’ombre d’un tilleul. Anouchka et Yannick nous y attendent et ont hâte de reprendre le chemin avec nous. Le ravitaillement est rapide et nous repartons au complet pour la suite de l’aventure. Les paysages changent de plus en plus. Fabrice mentionne que nous sommes passés d’un massif de calcaires karstiques à un massif schisteux (y s’rait un peu pédé aussi celui-là que ça ne m’étonnerait pas). A Vodelée, non loin du restaurant Le Soulami on aperçoit d’anciennes scieries de marbre actionnées par des roues à aubes.
Nous continuons vers l’Ouest, doucement mais sûrement. Les visages commencent à s’étirer, mais personne ne se plaint. Nous nous rapprochons de plus en plus de « min coin », mon terroir, mon paysssss ! Tous les noms de bleds évoquent maintenant des souvenirs d’enfance et cela me redonne du cœur à l’ouvrage. Arrivés au ravito de Doische (à côté de chez ma tante Annette) je décide de retirer mes chaussures pour permettre aux forces telluriques de l’Ardenne de me ressourcer (en réalité parce que j’avais les arpions en feu !). Catherine se met également pieds nus, mais le temps de charge n’est pas tout à fait le même pour elle car dans la pointe cela fonctionnent en 110V donc ce n’est pas complètement compatible. Guitou optera pour une autre technique à l’approche de R’vin : il laisse trainer la loche dans la poussière tout en roulant, un peu sur le principe du pantographe des tramways. Ninin, qui est aussi une authentique Quette de la Vallée, n’utilise pas les forces telluriques. Lui il reste fidèle au Baume du Tigre. Il se frictionne de plus en plus souvent avec et je le soupçonne même de s’en envoyer une petite lampée derrière la cravate de temps en temps.
Voyant l’heure tourner et la fatigue des pélerins, Thierry prend la décision de couper une petite boucle. L’Apothicaire tombe à genoux et lui baise les pieds pour le remercier.
Nous continuons le chemin en direction de Hierges et son château de briques rouges dont je découvre pour la première fois à 41 ans la face B, très jolie aussi. La trace reprend du dénivelé pour grimper sur la colline qui domine le village. Le balisage permanent du chemin de St Jacques est beaucoup plus visible maintenant. Guitou me dit que si on positionne notre coquille juste sur le symbole coquille du panneau de balisage, alors les 16 coquilles du groupe s’allument et se mettent à vibrer. J’essaye, mais c’était de la couille en fait.
Après Hierges ont s’attaque à la vallée du Viroin, patrie de Jipé, en passant à proximité de Najauge où j’allais à la chasse aux trilobites quand j’étais gamin. Nous remontons le Viroin par sa rive droite par un agréable chemin en sous-bois. Rapide passage par le village de Vierves avec une vue magnifique depuis le mont où trône une pièce d’artillerie ; puis nous passons par Olloy avant d’attaquer sans sourciller l’ascension vers le plateau de la Thiérache. Le GPS de Guitou annonce un mur devant nous, mais c’est finalement un dénivelé très progressif dans un passage hyper agréable qui nous amène sur les hauteurs de Oignies. On y croise 3 organisateurs de la rando de l’Hard’oise, chacun un Orval à la main, qui viennent de faire la reconnaissance de la randonnée du 2 juin. Ils identifient immédiatement notre club grâce aux maillots et sont stupéfaits quand on leur annonce de où nous sommes partis la veille : « De Namurrrrrrrrrrrr ??? » s’exclament-ils. C’est alors que ChocoBob décide subitement de prendre de l’avance en solitaire. Nous terminons la discussion avec nos cousins belges et nous entamons la descente du village jusqu’au prochain Ra-VITO. Choco a disparu. Thierry panique car il ne répond pas au Talkie. Sommes-nous face au 1er incident de ce weekend à l’organisation irréprochable ? Non, Choco revient comme il est parti, sans explication. Nous ne saurons jamais ce qui s’est passé pendant ces interminables minutes. Pourquoi est il parti seul, dans les bois, derrière un arbre, à larges feuilles, 2h environ après le petit déjeuner ? Cela reste un sombre mystère.
Nous regagnons enfin la France en passant la frontière (sans complication administrative majeure) à proximité du hameau de Moulin Manteau. Pour la première fois, le Lac des Veilles Forges est visible sur le mini écran de mon GPS. Thierry annonce la nouvelle pour maintenir la motivation des troupes.
Anouchka, notre infirmière, procède à un rapide lavage oculaire sur un patient puis nous reprenons la route vers Rocroi afin de nous engager dans la vallée de Misère. Le groupe se fait de plus en plus silencieux. Nos esprits sont principalement occupés par la lutte contre le froyon (relire à ce sujet le Jour 1, chapitre 4, paragraphe 2). Les raidars se tortillent, s’assoient sur une fesse, puis l’autre, puis continuent en danseuse pendant des kilomètres et des kilomètres. Le matériel aussi est fatigué. Les GPS s’éteignent les uns après les autres. C’est celui de Cacal qui nous permettra de finir. Dernier ravito à Hiraumont, à coté du bureau de vote. Cacal pose son VAE contre une grille ouverte donc elle s’ouvre…Quelques oursons au chocolat plus tard on se remet en selles (aïe) pour négocier les sentiers de la vallée de Misère. La végétation dense du mois de Mai rend les petits singles assez physiques. Nous passons à proximité du couvent abandonné où l’on soignait les malades avec l’argent récolté par la Callebasserie voisine. De l’autre coté de la route un chemin pierreux nous permet de grimper vers Bourg-Fidèle. Cette fois nous attaquons la dernière ligne droite ! Une fois Bourg-Fidèle traversé nous approchons de la tranchée du coq, descente piégeuse à la terre meuble (l’Ecureuil m’apprend qu’en termes agricoles champenois ont dit de la terre qu’elle est « veule ») et truffée de racines dans tous les sens. Thierry sait que nous sommes tous fatigués et que nous avons hâte d’arriver. Il multiplie donc les messages de sécurité et les appels à la prudence. La veille il avait donné les mêmes avertissements au sujet d’une descente très raide avant Dinant et – comble du professionnalisme – il était même allé jusqu’à tomber lui-même pour nous montrer à quel point c’était dangereux.
Cette fois c’est Guitou qui va à la faute. Pour une raison inexpliquée il a mis la roue à l’équerre (ce qui reste de loin la méthode de chute la plus efficace) et fait un soleil par-dessus le SCOTT de la même couleur. Il plante la visière du casque dans l’humus et freine avec les dents de devant dans les aiguilles de pins. Le choc est violent. Guitou reste immobile et silencieux un instant. Il est « soqué » comme on dit dans la Vallée. Nous accourons à ses côtés. L’accident jette un gros froid, qui tourne même à l’effroi quand Guitou se met à hurler de douleur. Son pied est resté coincé dans le cadre ! Après quelques manipulations ostéopathiques sur le vélo, nous parvenons à désincarcérer notre compagnon. Il se relève, un peu blême, mais repart comme si de rien n’était. Une vraie carne ! On a quand même frisé la fin de rando compliquée alors que tout le weekend était réussi. Guitou a failli échouer à 2 pas du bol de sangria. Nous terminons donc la descente en mode « p’tits slips » car la chute nous a tous refroidis.
Un dernier chemin forestier roulant où nous nous tirons la bourre à 4 ou 5, puis l’eau étincelante du Lac est enfin visible au bout du bois! Nous resserrons le groupe pour une finale d’anthologie sur les bords du Lac avec un soleil couchant radieux. Tout le monde exulte de joie et de fierté. On roule dans l’eau, on fait les foufous. Yannick, qui est devenu la mascotte du Weekend, est invité à prendre la tête de l’escadrille pour la photo finale. Pour une fois, on aura donc mis La Charrue avant les bœufs.
Les mamans sont là pour nous accueillir et nous photographier (seulement Sandrine et Vanessa en fait). Florence et Franky, nos anges gardiens, nous attendent sur le parking. Nous nous félicitons et embrassons mutuellement pour cette belle aventure. Nous remercions surtout les organisateurs. Cerise sur le gâteau, Thierry et Catherine on prévu l’apéro et même un concert de Johnny sur la terrasse du restau d’à côté !
En résumé : Certains ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait. Nous sommes partis à 16 et arrivés à 16, sans casse ni blessé. Les plus forts ont attendu et aidé les plus faibles. Nous avons communié plusieurs fois. Nous avons suivi notre Guide aveuglément. On n’est pas de si mauvais pèlerins en fait 😉
A suivre